Souvent je rencontre des personnes accablées de maladies compliquées, insensibles aux médicaments.
Je m’efforce alors de ne pas minimiser leur douleur, et surtout de ne pas « relativiser ».
Rien de plus facile, en effet, que d’évoquer la guerre, la pauvreté dans le monde, les famines, les souffrances des autres : « Tu vois, tu n’es pas si malheureux ! »
Sous une apparence d’évidence, cette réponse est ridicule et même un peu méchante.
En effet, qui sommes-nous pour juger de la souffrance des autres ? Même une personne en bonne santé et qui a, en apparence, « tout pour être heureuse » peut ressentir chaque nuit d’horribles angoisses, être envahie de désespoir le matin au point de ne pas réussir à sortir de son lit, souffrir d’un manque d’amour, de solitude ou, plus profondément encore, d’un abîme dans son âme dont elle ne voit pas le fond. Sans savoir pourquoi, ni les causes profondes de son mal, elle est rongée par la souffrance et c’est une cruauté d’aller lui dire que sa vie n’est pas si dure.
La première chose que j’essaye de faire est vraiment de montrer avec des mots, des gestes, que non seulement je comprends cette douleur, mais que même je la ressens moi aussi, au moins en partie.
Ce sentiment vient naturellement, car c’est ainsi que nous sommes faits. Même devant la souffrance d’inconnus à la télévision, même dans des films où nous savons pourtant que ce ne sont que des acteurs… notre gorge se noue, nos tripes se tordent, nous avons envie de faire quelque chose face à la douleur.
L’amour qui soigne
Et le miracle, c’est que cette envie procure déjà un soulagement à ceux qui souffrent. Un soulagement, et même parfois une joie et un début de guérison. Oui, je n’hésite pas à parler de miracle, car cette chose est incroyable quand on y réfléchit, et pourtant elle nous est tellement familière.
Combien de fois ai-je vu mes enfants se faire mal et réellement souffrir, crier dans un torrent de pleurs ! Leur maman accourt, ou bien c’est moi-même. Nous faisons la grimace, nous poussons des « oh » et des « ah » devant ce genou écorché, l’enfant nous regarde à travers ses larmes, voit que nous souffrons pour lui… Et déjà ses cris se changent en sanglots, ses larmes se tarissent… La douleur n’est plus aussi forte, la convalescence va bientôt commencer.
Il serait bien naïf, ou plutôt pessimiste, d’imaginer que la chose ne vaut pas aussi pour les adultes.
Ce n’est pas pour rien que, dès qu’il nous arrive malheur, nous appelons les personnes que nous aimons. Inconsciemment, nous savons que raconter notre malheur permet de partager notre douleur, au sens propre du mot « partager ». Nous « donnons » un petit peu de douleur à chaque personne autour de nous, si bien que la nôtre s’atténue et devient plus supportable.
Je vous ai parlé récemment du beau livre de Julien Venesson, Vaincre la sclérose en plaques. C’est un exemple magnifique de l’amour médecin. Julien raconte son aventure avec sa compagne Émilie, qui était gravement malade quand il l’a rencontrée. Elle découvre à ses côtés le désir, l’énergie et des approches thérapeutiques nouvelles pour vaincre la sclérose en plaques, réputée incurable. Et le miracle s’accomplit. Au bout de trois ans, tous les symptômes ont disparu, alors que les médecins lui promettaient tous une irrémédiable aggravation.
Grâce aux autres, le soulagement peut aller très loin : les personnes qui ont connu de grandes épreuves et qui ont eu la chance d’avoir pu en faire un livre, un documentaire ou un film à succès, faisant ainsi connaître au monde entier leur souffrance, peuvent déclencher tant de compassion qu’elles-mêmes finissent par se « réjouir », d’une certaine façon, du malheur qui les a affligées mais qui leur a apporté tant de chaleur humaine.
C’est la force incroyable de la compassion.
D’où l’importance cruciale de veiller à exprimer autant que nous le pouvons notre compassion auprès des personnes souffrantes. Nous avons là en nous, souvent sans le savoir, un bien inestimable, un trésor que nous pouvons distribuer à pleines mains, sans que cela nous retire quoi que ce soit, bien au contraire.
Conserver notre humanité
La vie moderne nous pose de terribles défis. Au volant de notre voiture, dans les transports en commun, la foule des grandes villes, nous croisons chaque jour des masses de personnes que nous ne reverrons jamais.
Il est normal et inévitable, dans ces conditions, de se « blinder », en restant dans le monde intérieur de ses pensées, sans s’intéresser à chaque personne qu’on croise.
Mais l’indifférence peut devenir effrayante.
Vous avez peut-être vu cette vidéo d’un garçon sur le quai du métro à Londres, tandis qu’un landau vient de tomber du quai juste à côté de lui. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, il laisse la maman se jeter sur la voie et essayer d’en retirer le landau. Il ne lui tend même pas la main pour l’aider alors qu’une rame de métro arrive [1] !
Nous avons ce trésor de la compassion dans notre cœur. Mais nous sommes aussi capables d’enfouir ce trésor, tel un pirate sur une île déserte, au point qu’il n’apparaisse plus du tout à la surface de nos vies !
Faisons tout ce que nous pouvons pour ne pas « pirater » notre compassion, et la laisser agir au moins avec les personnes que nous connaissons, que nous avons connues et que nous pourrions connaître.
Sources :
[1] Terrifying moment a toddler in a pushchair is sucked on to a live Tube track as a train heads into the station - and is rescued by its mother with just seconds to spare
[2] L’amour médecin
[1] Terrifying moment a toddler in a pushchair is sucked on to a live Tube track as a train heads into the station - and is rescued by its mother with just seconds to spare
[2] L’amour médecin
Extrait de l'article de marc Dupuis "santé. Nature.Innovation"
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